Alors que la comédie romantique semblait un genre à bout de souffle, faute de renouvellement formelle et de remise en question des stéréotypes genrés, Celine Song détourne le genre, joue avec ses codes pourtant bien ancrés, et propose un film d’une modernité mordante, tout en gardant le pouvoir d’attraction indéniable des films d’amour. Film-doudou qui n’en oublie pas d’être malin et critique, Materialists a tout pour devenir le film culte de la décennie 2020.

Petit panorama d’un genre mal aimé

Un peu trop méprisé car associé à un public féminin, la comédie romantique sonde une société à un moment donné, questionne nos valeurs et nos représentations, s’en accommodent aussi, et devient un véritable outil sociologique pour décrypter une époque. En effet, mettre à l’écran un couple, c’est interroger la séduction, la sexualité et l’union. C’est se pencher sur le désir et la désirabilité des hommes et des femmes. C’est, en creux, révéler ce qu’une société tolère, cache et valorise, le couple étant autant synonyme de réussite sociale que, dans des cas plus tragiques, de lutte pour l’acceptation.

En 2025, jeter un coup d’œil sur la dernière vague de comédies romantiques cultes, s’avère parfois douloureux. Les femmes galèrent à plaire car elles seraient trop grosses (cf Love Actually ou Bridget Jones, où on redécouvre qu’une taille 38 était considéré comme le comble de l’obésité), et les belles filles manquent de cervelle mais pas de vénalité (Pretty Woman). Pas très inclusif ni féministe, beaucoup trop naïve et irréaliste, la comédie romantique semblait mal adapté au souffle de progressisme qu’attendait le public… souffle progressiste qui ne vente plus si fort sur les Etats-Unis, premier producteur occidental de ce genre.

La solution opportuniste pour lui redonner un coup de fouet serait de détourner tous les codes genrés de la comédie romantique et en faire des pamphlets féministes. Seulement, Celine Song, réalisatrice du plus pudique et auteuriste Past Lives (2023), choisit une autre voie, plus fine, et tout aussi actuelle.

Comment vendre l’amour en 2025 ?

Dans le New York huppé des grands bourgeois, Lucy (Dakota Johnson, magnétique) fait office d’entremetteuse moderne. Employée d’une agence de rencontre, elle organise des dates, ou rendez-vous galants en langue de Molière, pour des clients aux critères rigoureux. Le partenaire idéal ne peut être que riche, séduisant, blanc, avec plutôt des cheveux pour les hommes, et plutôt pas trop de kilos et ni d’années pour les femmes. Lucy jongle avec les préjugés de chacun, d’autant qu’elle-même se dit en quête de l’homme parfait (en gros, riche). Sur le papier, le nouveau-venu Harry (Pedro Pascal), représente le match parfait pour elle, en tout point opposé à John (Chris Evans), son ex fauché et comédien raté, qui, comme par hasard, revient dans la danse au même moment….

Celine Song dresse un constat glaçant, traité sur un mode comique irrésistible dans le film : le couple est non seulement un investissement, mais aussi un apparat. De nombreux personnages le confessent,  ils veulent sortir avec untel « because he/she makes me feel valuable » (ambiguïté délicieuse  qui signifie autant « donner de la valeur » que « faire sentir spécial »). De fait, c’est d’abord par les dialogues que toute l’ironie de Materialists éclate. La réalisatrice l’a bien compris, aussi sa mise en scène sert d’écrin aux répliques. Les plans, d’écoute comme de discours sont longs, peu découpés et permettent, avec discrétion, de concentrer l’essentiel de l’action dans les mots. Outre ces scènes de dialogues, le film fourmille d’inventions visuelles, faussement sobres, de choix de cadrage révélateur (comme le plan zénithale au lit de Lucy et Harry, qui l’écrase à l’image), de mouvements de caméra (travellings élégants pour le riche Harry, caméra épaule foutraque pour filmer la coloc tout aussi bordélique de John), même le générique finale regorge de détails amusants.

On se retient presque de noter toutes ces idées et de griffonner sur un carnet les répliques brillantes tant elles fusent à chaque scène, et font mouche tout le temps, à l’image des rendez-vous au café de Lucy et de ses clients exigeants, des sommets d’hypocrisie.

Néanmoins, l’humour du film ne saurait faire oublier la mélancolie troublante qui envahit chacun (je serais tentée de préciser, chacune) lorsqu’on se confronte à la solitude. Pourquoi moi je ne plais pas ? Pourquoi moi je n’ai pas ce petit truc spécial qui fait chavirer ? Suis-je condamné(e) à rester seul(e) ? Pourquoi je ne mérite pas l’amour ?

Glaçant, le film fait d’abord cet implacable constat : parfois, on ne coche pas toute les cases. L’amour est un marché, et certains partent mieux lotis que d’autres. Car, quand on a tout, la chouette personnalité (et ici le chouette compte en banque), ne reste que des questions d’apparences. A ce jeu-là, dans les mondes des ultra-riches, même le physique s’achète alors plus question de complexes.

C’est là que l’affaire se corse. Pourquoi tout ne fonctionne pas alors qu’on coche toutes les cases ?

A bas le cynisme, vive l’amour ?

Tout grinçant et ironique qu’il est, Materialists ne peut jouer sur le terrain de la terrible comédie de masques et de mœurs bien longtemps. Celine Song a l’intelligence de ne pas plonger tête baissée dans la cruauté et le rire noir, mais d’osciller entre l’acerbe critique sociale et la pure comédie romantique. Empruntant aux canons du genre (dilemme amoureux, personnages symboliques, crainte de l’engagement, jeu d’attraction-répulsion), le film ne prétend pas détourner les codes mais plutôt les actualiser et les interroger dans le contexte des années 2020. Aussi, le film ne ferme pas les yeux sur les agressions sexuelles, dans une sous-intrigue d’une justesse étonnante.

Ainsi, Materialists, malgré sa forte charge critique, reste bien une comédie romantique. Regard lucide et amour sincère ne s’opposent pas mais se complètent. On ressort du film traversés par des émotions contradictoires, autant écœurés par le détournement capitaliste du couple, que convaincus qu’il restera toujours, cet étrange sentiment qui résiste à tout, et dérange toutes les normes. Dans un parallèle, un peu poseur certes, entre notre époque et celle des anciens temps où grand-papi et grand-mamie chassaient le mammouth avant de rentrer en chaud dans la caverne tailler du silex, Celine Song synthétise sa pensée couple, autant outil de transaction et de stabilité économique, qu’union inexplicable et indépassable entre deux êtres.

C’est dans ce mouvement rassembleur que Materialists a des chances de durer et de devenir un film culte, ce film qu’on reregarde chez nous sous la couette, qu’on décortique dans des séances-analyses entre amis, qu’on partage encore et toujours. Parfois, on a besoin de voir des films qui nous disent ce qu’on veut entendre, qui nous rassurent et nous rendent heureux. Vive l’amour bordel !

(Mille mercis à Diane de m’avoir emmenée voir ce film, et de m’avoir glissée de nombreuses remarques que j’ai allégrement reprises dans cet article!)

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