Des acteurs inspirés, des dialogues remarquables, une réalisation parfaite, une image sublime… Sorti en 1937, ce grand classique du cinéma, porté par Jean Gabin et Pierre Fresnay, transmet toujours une émotion intemporelle.

En 1917, les officiers Maréchal et Boeldieu sont capturés par les ennemis allemands. Internés dans un camp de prisonniers, ils font la connaissance de d’autres soldats aux personnalités débridées. Les nouveaux-venus participent au projet d’évasion. Mais rien ne se passe comme prévu et une partie de la troupe est envoyé dans une forteresse allemande où toute tentative de fuir semble illusoire…

Véritable ode à la fraternité, La grande illusion peut sembler idéaliste et utopiste en dépeignant des moments de courtoisie, voire d’amitié, entre les deux camps. Mais le réalisateur Jean Renoir le rappelle en 1958 à l’occasion de la deuxième sortie du film au cinéma : « en 14, il n’y avait pas Hitler. Les Allemands étaient aussi des hommes ». A ce titre, les personnages des deux camps font preuve d’humanité, comme un moyen détourné de rejeter cette guerre. La capture de Maréchal et Boeldieu est par exemple révélatrice de la profonde courtoisie qui unie les relations franco-allemandes.

Au lieu d’être malmenés, les deux officiers sont accueillis à la table des Allemands et l’un d’eux aide Maréchal, blessé à la main, à couper sa viande.

Bien qu’on puisse se douter que la guerre ne s’est pas toujours déroulée aussi respectueusement, Renoir se souvient dans une interview que la Première Guerre Mondiale était « presque encore une guerre de gens bien élevés, de gentilshommes » avant d’ajouter ironiquement « Oh mais ça ne l’excuse pas ! ».

A ce titre justement, La grande illusion n’excuse jamais la guerre lorsqu’elle prive les hommes de leur droit suprême : la liberté. Jamais les hommes ne cessent de rêver d’escapade et quand un nouvel imprévu arrive, ils revoient tout leur plan et creusent sous leurs lits avec encore plus d’acharnement. Même épuisé et à bout de force, l’officier Maréchal joué par Gabin gratte les murs de sa cellule avec une petite cuillère pour essayer de s’enfuir.

Maréchal (Jean Gabin), rêve de liberté

Librement inspiré des aventures d’un compagnon d’armes de Renoir, lui-même aviateur lors de la grande guerre, le long-métrage illustre avec réalisme et honnêteté la désillusion constante qui plane autour des détenus français. Les détenus se confrontent à la profonde injustice de la guerre, à l’instar du moment où la troupe doit changer de chambre alors qu’ils sont pratiquement au bout du tunnel. La frustration d’être enfermés, la baisse de l’élan patriotique et la solitude ne sont que quelques-uns des maux dont souffrent les soldats. La grande illusion aurait pu plonger dans un désespoir profond. Mais Renoir et son coscénariste Charles Spaack ont préféré, avec raison, un ton plus optimiste, en grande partie dû à la gouaille inoubliable des interprètes principaux. Jamais on ne tombe dans le sentimentalisme pur mais on l’effleure avec justesse.

La grande illusion n’est étonnamment pas un film larmoyant. Les dialogues d’anthologie en particulier le rendent presque solaire. Les répliques ciselées se prêtent à merveille à la gouaille de Gabin, à l’élégance de Pierre Fresnay et à l’humour de Julien Carette, spécialement drôle. Renoir et Spaack ont su distiller une ironie amère et mordante, aucun mot ne parait de travers. Les dialogues sont remarquables dans tous les registres. Ironiques et de mauvase foi, ils font mouche ; graves et abattus, ils émeuvent (confer les dernières paroles de Boeldieu, les adieux avortés de Rosenthal et Gabin, ou encore la confession d’Elsa).

Une des scènes les plus émouvantes du film : les dernières paroles de Boldieu à Von Rauffenstein, devenus presque amis grâce à la grandeur de leurs familles respectives.

Les acteurs transcendent l’écran dans les moments de joie comme de peine. Lors du premier camp de prisonniers, certaines scènes bouleversent par leur solennité, à l’instar de la Marseillaise entonnée fièrement devant les Allemands, peu après un spectacle des plus drôles. Cette scène est à l’image du film qui oscille entre moments de vie et gravité. Renoir a à ce propos une formule qui résumerait à merveille ce film : « c’est une histoire de gens comme vous, comme moi, lancés dans cette aventures navrante qu’on appelle une guerre. »

Les personnages sont pris entre cette envie de vivre et rire et ces événements qui les dépassent. Une scène est particulièrement révélatrice de cette douleur. Les détenus se jettent sur une malle de vêtements féminins et s’émerveillent en repensant aux femmes. Après avoir échangé quelques plaisanteries, un soldat propose en riant de porter une robe, les autres acquiescent en se moquant de lui. Mais lorsqu’il revient, toute l’assemblée de détenues se mure dans un profond silence, lourd de cette solitude endurée pendant des mois.

En bref
La pertinence de ce film réside dans ce va-et-vient constant entre divertissement et œuvre solennelle, preuve que les deux ne sont pas incompatibles. A ce sens, il apparait à mes yeux comme un film parfait, c’est-à-dire un film qui sait trouver le juste milieu entre divertissement populaire et art, accessibilité et intelligence. Une merveille du cinéma français et mondial.

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