En lorgnant vers la beauté formelle et artificielle d’un Kaurismaki, l’islandais Rúnar Rúnarsson offre un film tenu d’un bout à l’autre, qui ne laisse que peu d’interstices pour l’émotion. Alors que la lumière est censée percer, When the light breaks reste un objet fermé, sans brèches, sans entrées. Reste cependant en mémoire la force des interprètes et l’originalité de la proposition.
[Film découvert en avant-première en juin 2024 lors du Festival de Cabourg]
Una aime Diddi, mais Diddi peine à rompre avec sa petite amie de longue date, Klara. Il lui promet de le faire enfin et d’assumer leur histoire. Le lendemain, alors qu’il est au volant, il est tué dans le spectaculaire incendie d’un tunnel. Una, petite amie non officielle, doit vivre son deuil en silence.
Rarement un casting a su si bien caractériser ses personnages à partir des corps. L’interprète d’Una, Elín Hall, a un visage sérieux, taillé à la serpe. Son style vestimentaire, en superposition d’habits, trahit ses nombreux masques et carapaces. Dans ce récit de deuil, Una se croit adulte en gardant la main mise sur chacun de ses gestes, effusions de larmes comprises. Rien ne peut s’échapper de son jeu millimétré. Face à elle, l’amie officielle, Klara (Katla Njálsdóttir), au physique plus rond, rassurant, aux pleurs spontanés. Entre elles deux, une foule de jeunes adultes aux allures d’éternels lycéens.
L’originalité de When the light breaks se situe dans ce coup de force du scénario. Les deux femmes pleurent le même homme, pour les mêmes raisons, mais l’une secrètement et l’autre aux yeux de tous. La bande d’amis soutient Klara tandis qu’Una cache ses larmes. Etrangement, le film dédouble la froideur du personnage, imposée par ce système paradoxal du deuil silencieux, avec une froideur dans la mise en scène.
Rúnar Rúnarsson maitrise le cadrage et les mouvements de caméra, mais vire à la rigidité, voire au surplomb. Les personnages ne sont pas auscultés, traqués dans leur intimité avec une caméra épaule ou des mouvements plus spontanés, mais donnés à voire, froidement, par des cadres fixes. Cette mise en scène sèche tranche avec l’effusion de larmes d’Una, et empêche l’empathie en préférant la prise de distance. Le deuil d’Una sera une sortie de son isolement et de son égoïsme, un retour vers les autres, et alors, peut-être, vers le spectateur ?
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