Peut-être suis-je biaisée car j’ai lu les livres à quelques semaines d’écart, mais les ressemblances entre ce roman de Jérôme Ferrari et un autre prix Goncourt, celui de Laurent Gaudé, Le Soleil des Scorta (2004) m’ont frappé. Deux romans, brefs, à l’ambition romanesque ample : raconter plusieurs générations dans un petit village, leurs déboires, leurs rêves, et leurs désillusions. A voir si mes futures lectures des prix Goncourt confirment s’il s’agit d’un sous-genre propice aux prix littéraires…

Dans Le Soleil des Scorta, Laurent Gaudé dresse l’histoire tumultueuse d’une famille maudite, prête à endurer des décennies de dure labeur sous le soleil italien pour s’extirper de la misère. Dans Le Sermon sur la chute de Rome, Jérôme Ferrari conte la vie d’une famille corse, en particulier deux amis, Matthieu et Libero qui tentent d’échapper à leur terre natale mais y reviennent sans cesse, jusqu’à s’installer pour reprendre un bar.

Ne croyez pas qu’il s’agit d’un roman social sur le déterminisme, ou le poids de la famille. Non, Jérôme Ferrari, comme Laurent Gaudé avant lui sous des formes différentes, a l’ambition d’ériger cette histoire en un mythe. Car le bourg corse qui rappellera toujours nos héros est un monde qui se meurt, se corrompt, et entraînera tout dans sa déchéance. La brièveté du roman de Ferrari permet d’échapper à de trop lourds développements métaphysiques, aussi c’est par un véritable souffle romanesque que l’auteur fait ressentir cette longue chute, cette agonie d’un petit monde clos. Discrètement, tous les compatriotes des héros cherchent à fuir, à migrer, volent un bout du village en s’envolant vers d’autres cieux. A l’inverse de Matthieu et de Libero, attirés dangereusement comme des aimants inconscients vers ce village.

« A nouveau, le monde était vaincu par les ténèbres et il n’en resterait rien, pas un seul vestige. A nouveau, la voix du sang montait vers Dieu depuis le sol, dans la jubilation des os brisés, car nul homme n’est le gardien de son frère, et le silence fut bientôt suffisant pour qu’on pût entendre le hululement mélancolique de la chouette dans la nuit d’été. »

Ce roman m’a donc séduit pour son discret chant du désespoir qui structure le récit, le sous-tend, et impose une gravité imposante, contrebalancé astucieusement par les touches d’humour du narrateur et par des dialogues réalistes. Je confesse être moins touchée par les quelques parallèles avec la vie de Saint Augustin parsemés dans le livre, assez courts heureusement pour ne pas nous assommer d’érudition pour autant.

L’autre force du Sermon sur la chute de Rome réside dans le style de Ferrari, virtuose même si teinté de grandiloquence. L’auteur nous plonge dans des phrases amples, ne craignant pas de s’étendre sur plusieurs paragraphes, dans lesquels se mêlent narration, pensées impromptues des personnages et sentiment d’une chute à venir, sans jamais nous perdre. On ressort de ce livre assez étourdi, et troublé. Peut-être est-ce un des rares romans contemporains, bien qu’ancrés dans notre époque, à tenter de se hisser à la hauteur des classiques intemporels.

En somme, un Goncourt ambitieux, légèrement moins accessible que le roman de Gaudé (le titre d’une austérité rare ne prend personne en traitre), mais pas pompeux ni assommant pour autant. Chapeau, Monsieur Ferrari !

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