Michel Hazanavicius (OSS 117, The Artist…) nous offre un conte animé sur la Shoah, porté par la voix de Jean-Louis Trintignant dans son dernier rôle. Le film hésite entre la fiction à visée universelle et le réalisme cru, empêché par des choix d’animation qui ne portent pas l’émotion. En reste un devoir de mémoire néanmoins important, et nécessaire, qui fera sûrement date dans les salles de classe.

Malicieusement, la voix de Trintignant nous plonge dans un univers de fiction : « Il était une fois un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne », mais il contextualise immédiatement « c’était à la Seconde Guerre Mondiale évidemment ». D’emblée, La Plus Précieuse des marchandises palie de cette tension générique, entre conte fictif (dont on comprend très vite l’écho avec la Shoah) et clarté historique. Peut-être que cette précision permet de balayer toute tentative de négation de l’Histoire, aussi Michel Hazanavicius place dès le début son film dans le champ des œuvres mémorielles.

Le pauvre couple de bûcherons recueille un nouveau-né lancé d’un train et atterri dans leur forêt. L’homme, bourru, (doublé par Grégory Gadebois, très crédible) refuse d’abord de s’occuper de l’enfant, voyant en lui un rejeton « de la race des sans-cœur ». La femme devra le convaincre de protéger l’enfant des autres bûcherons prêts à les dénoncer…

La Plus Précieuse des marchandises traite donc sous un biais fictionnel des Justes, ces citoyens qui ont caché des personnes recherchées par le IIIe Reich, majoritairement juives. Le film quitte peu à peu son dispositif de conte universel pour nous plonger dans les camps.

Sans revenir sur l’historique des débats sur la représentation des camps au cinéma de Kapo à La Liste de Schindler, en passant par La Zone d’intérêt, viennent en tête les polémiques sur l’esthétisation ou le traitement spectaculaire de la Shoah devant le passage du film dans les camps polonais. La musique d’Alexandre Desplat ne lésine pas sur les violons pour tenter de nous émouvoir tandis que l’animation change de technique. Du dessin on passe à un simili-crayonné, en plan fixe, sur les cadavres des victimes de la Shoah. L’effet horrifique voulu est néanmoins empêché par la surenchère de musique dramatique, là où un silence aurait eu plus de force.

Les choix artistiques dans l’animation du film L’animation en tant que technique permet un regard autre sur la guerre, en proposant une distance poétique, ou accentuant l’horreur par des scènes fantasmées, ou encore, en réduisant l’expérience de la guerre à une unique vision réaliste, souvent celle d’un enfant. L’histoire de l’animation regorge de chefs d’œuvre se situant dans une guerre, de l’ultra-émouvant Tombeau des Lucioles (1988) à Persépolis (2007), en passant par un pan de l’œuvre de Miyazaki (Porco Rosso en 1992, Le vent se lève en 2011 ou son dernier, Le Garçon et le Héron en 2023).

Or, dans La Plus Précieuse des marchandises, l’animation peine à se justifier, entre désir de conte et réalisme frappant. De plus, alors que les plans larges dévoilent des décors finement dessinés, les gros plans souffrent d’une colorimétrie brune trop marquée et trop homogène à l’échelle du film, ce qui affaiblit les potentielles nuances. De surcroît, les visages des personnes se figent souvent, et semblent moins malléables, du fait de traits de dessins assez gros. Cette caractérisation des personnages, qui a l’avantage d’être originale et délicieusement old school avec la 2D, perd sa puissance émotionnelle du fait même de l’animation.

Ces maladresses du film, accolées à une fin bancale (une gloire à l’amour après l’extermination industrielle…) l’empêchent de se hisser parmi les classiques du genre, mais sa sincérité et son sérieux lui garantissent d’être vus par des générations de spectateurs, notamment en classe d’histoire. Lors de ma séance, une classe de collégiens découvrait aussi le film, et au vu de leurs ricanements immatures et honteux, nul doute que rappeler la tragédie de la Seconde Guerre Mondiale se révèlera toujours nécessaire.

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