Par Manon Grandières
Piquante sans être véritablement agressive, cette fable décalée se veut anticonformiste mais manque d’audace. Alors qu’il lorgnait du côté de Ruben Östlund, le réalisateur suédois Ernst De Geer propose un film convenu sur les apparences. Retenons néanmoins cette proposition, encore imparfaite mais pertinente, de la folie et de l’animalité comme possibilités de fuir un monde moderne hypocrite. Vu au Festival de Cabourg le 16 juin 2024.
Un couple de jeunes entrepreneurs, André (Herbert Nordrum, vu dans Julie en 12 chapitres) et Vera, participe à un concours de pitch pour vanter les mérites d’Epione, une application dédiée à la santé féminine qu’ils souhaitent exporter dans le Tiers-Monde. Quelques jours avant de rencontrer les start-ups concurrentes, Vera se rend chez un hypnothérapeute pour guérir son addiction à la cigarette. Dès lors, son comportement se modifie progressivement en un jeu malsain, jusqu’à mettre en péril l’événement.
Dès sa scène d’ouverture, Sous hypnose met en garde contre les faux-semblants. Vera est filmée en gros plan, face caméra, et nous raconte l’arrivée de ses premières règles. Soudain, en contre-champ, André l’interrompt pour préciser un des termes. Cette séquence programmatique donne le ton : nul n’est sincère, tout discours est mis en scène à des fins commerciales. Vera et André, millenials on ne peut plus aguerris dans ce monde d’apparâts, semblent s’y fondre sans le questionner. Seulement, grâce au gros plan sur le visage las de Vera, on devine le chaos qui approche.
Alors que le récit suit le point de vue de Vera, il bascule dans celui d’André dès l’instant où sa compagne vient perturber ce monde trop lisse. Le film pâtit de ce choix scénaristique paradoxal. La folie devient un élément perturbateur, une source de tension qui vient dérégler la mécanique huilée pour vendre Epione mais devant laquelle il faut lutter. Etant donné que le spectateur est confiné dans le point de vue d’André, grand dadet dépassé, nulle empathie n’est possible pour cette jeune femme agaçante, enfantine en même temps que manipulatrice. Ce changement de focalisation rend le récit moins surprenant à cause de la passivité d’André qui subit la gradation des folies de Vera.
Sous hypnose, propose plusieurs portes de sortie à ses personnages, dans un enchaînement efficace, presque trop dialectique. La première piste est celle de l’hypnose, un point de départ intéressant que le récit ne poursuivra qu’allusivement. L’hypnose confronte Vera à son impuissance, en même temps qu’elle s’immisce dans son intériorité, préservée des hypocrisies et des faux-semblants. Pourtant, il semblerait que l’hypnose résiste à l’acte cinématographique par nature. Incontrôlable par l’hypnotisé dans la vraie vie, elle est comme un surcroît de réel auquel on ne peut pas croire dès lors qu’il est mis en scène. Ernst De Geer quitte donc cette piste pour proposer une deuxième option pour ses personnages : celle du jeu. Vera négocie avec le réel en inventant des mises en scène dont les règles varient à sa guise. Le résultat, caustique, est savoureux. Enfin, la dernière voie, radicale donc finale, est celle de l’animalité. Dérégler les normes bourgeoises en lui opposant la sauvagerie et l’imprévisible, l’idée est séduisante.
Cependant, cette perturbation du monde n’intervient que dans un microcosme et un espace-temps resserré. De ce fait, la portée politique du film s’amenuise. Dénoncer le conformiste d’un monde présenté d’emblée comme aseptisé reste un projet plutôt convenu. Le film esquisse une piste intéressante lorsque Vera se lie avec des serveuses et enfile elle-même un tablier pour les rejoindre. Le film pourrait alors se situer dans la même veine que Sans filtre (2022) de Ruben Östlund qui débutait lui aussi dans un monde élitiste fermé, avant d’embrasser un propos politique plus large. Dans Sous hypnose, cette ouverture sociale ne sera qu’un prétexte à des scènes grinçantes réussies.
Ce manque de désordre frontal se retrouve aussi dans la mise en scène. Les plans soignés et les mouvements de caméra légers presque invisibles sont adéquats pour représenter cette élite académique et sage. Or, Ernst De Geer ne se départit pas de cette esthétique fort polie au fil du récit ; aucun effet de rupture dans l’image ou le montage n’accompagne le désir de fuite de ses personnages.
Distillant de nombreuses pistes passionnantes qu’il questionne avec timidité, ce film manque encore de tension et d’audace pour nous bousculer réellement. Sous hypnose surprend dans son art de cultiver la gêne, servi par des dialogues piquants savamment rythmés et un humour à froid qui fait souvent mouche. Osons affirmer que, fort de ces qualités, Enrst De Geer proposera plus tard un long-métrage plus incisif et, possiblement, plus politique.