Cédric Kahn réutilise les codes du film du procès avec une maîtrise impressionnante pour dépeindre une figure paradoxale, et magéntique du XXIe siècle. Dialoguant entre le traumatisme de la Seconde Guerre Mondiale et les guerres de décolonisation, Pierre Goldman, dans sa défense, quitte le tribunal parisien pour juger tout son monde. Le film préfère embrasser la complexité du monde d’après-guerre, le résultat est somptueux.

Pierre Goldman (Arieh Worthalter), militant d’extrême-gauche ayant basculé dans le banditisme, reconnaît tous les délits qui lui sont reprochés, à savoir des braquages pour la plupart, mais se dit innocent pour un crime qu’on lui impute : le meurtre de deux pharmaciennes. Iconoclaste, sanguin et incisif, il cherche à se défendre en prenant le pas sur le travail de ses avocats plus consensuels. Le procès, déjà fortement perturbé par les admirateurs de Goldman, tourne à la foire d’empoigne entre le public et l’accusé qui voit dans sa mise en examen un complot de l’Etat au service de la police.

A première vue, Le Procès Goldman respecte assez scrupuleusement les codes du genre auquel il appartient : huis clos, joutes oratoires, reconstitution de l’enquête, doute constant et théâtralisation du discours. Pourtant, ce cadre lui permet de dépasser le simple film du procès pour s’inscrire dans l’Histoire. En effet, l’histoire de Pierre Goldman n’est pas seulement la malheureuse épopée personnelle d’un homme en quête de combats et de justice sociale. Tout au long du procès, des liens forts sont établis entre sa trajectoire et le poids d’un héritage historique. Ses parents juifs d’origine polonaise, arrivent en France pour fuir les pogroms hitlériens ; son père rejoint la Résistance et devient une figure respectée du mouvement. Ce double ascendant mythique, juif et résistant, forge la personnalité de Pierre Goldman, semble nous dire le film. Terrorisé par l’idée de ne pas être digne des actes glorieux de son père et coupable d’être juif, l’homme s’engage dans les luttes armées de décolonisation et prend part à des guérillas à l’autre bout du monde. Rêvant par-dessus tout d’un destin héroïque, il revendique en embrasser le tragique. Il dresse alors un lien entre la Résistance au nazisme et la résistance à la colonisation, dont la police serait le dernier vestige emblématique.

C’est alors que Pierre Goldman réunit l’Histoire passée, de la Seconde Guerre Mondiale, de l’antisémitisme menant à l’extermination, de la Résistance, à l’Histoire plus récente de la décolonisation, et la question encore brûlante de nos jours du racisme. Pour Goldman, aucun doute possible, les témoignages de ses amis noirs prouvent que la police française est systématiquement raciste, donnant lieu à des débats houleux lors du procès. Le camp de Pierre Goldman s’oppose drastiquement aux institutions. La Justice, symbolisée par la personne du magistrat, prend la défense des forces armées, voyant dans ces accusations une insulte envers l’Etat français tout entier. Dans cette guerre oratoire, les avocats de Goldman proposent une troisième voie en dénonçant des actes isolés de policiers tout en respectant le cadre républicain. Cette voie de l’atténuation et du refus de la systématisation évoque en creux l’universalisation prônée par certaines voix aujourd’hui.

Apparaît en filigrane un troisième temps historique, nommé tel quel une seule fois lors du procès : Mai 68. Désigné avec dédain par Goldman qui y voit une révolte symbolique « où chacun rentre chez Papa Maman après avoir jeté son petit pavé », Mai 68 semble être un contre-modèle des vraies révolutions qui se jouent à Cuba ou en Amérique Latine. Cependant, on retrouve dans ce procès les fers de lance de ce moment, à commencer par la valorisation de la parole. Des discours peuvent changer la société, et Pierre Goldman s’emploie à dénoncer et critiquer la République française, affirmer que la police est systématiquement raciste et fasciste n’est qu’une variation du slogan soixante-huitard de « CRS = SS ». De même, les admirateurs presque fanatiques de Goldman, applaudissent comme d’un seul homme, fasciné par la simple parole du militant, sans en écouter totalement le contenu. Du tribunal à l’AG de Nanterre, il n’y a qu’un pas.

Être un film de parole suggère d’être aussi un film d’écoute ; Le Procès Goldman, à ce titre, remplit ces deux fonctions avec brio. Une véritable galerie de personnages en gros plans, dans le public ou dans le jury d’assise, reçoivent les paroles conflictuelles échangées lors du procès. Leurs visages sont parfois émus ou sceptiques, mais toujours passionnés. Cédric Kahn dirige à merveille ses acteurs, et distingue dans le plan plusieurs réactions suggérées par des micros-gestes. Un plan fréquent dévoile dans la partie supérieure du cadre Goldman vociférant dans son box, piédestal involontaire, dans la partie inférieure, un des avocats (Arthur Harari) serre les dents de rage, à l’arrière-plan, une partie du public est ravi. Constamment, la caméra alterne entre ces différents points de vue, suggérant l’impossible réception unique d’un discours aussi polémique.

Le pari, réussi, de ce film, est de trouver un interprète à la hauteur des enjeux et des paradoxes exposés. C’est chose faite en la personne d’Arieh Worthalter. Cédric Kahn crée une attente dès le titre et la première scène, où les avocats découvrent une lettre incendiaire de Goldman. On découvre rapidement Pierre Goldman, en cellule, puis au procès. Le personnage peut sembler théâtral, voire caricatural par certains aspects, mais sa nature elle-même est excessive. Bigger than life pourrait-on dire. Il s’avère être en réalité aussi touchant qu’irritant. Son sens aigu de la justice et de la morale le conduit à des choix et des décisions sans cesse radicaux. Plus question de finesse, tout est vécu par Pierre Goldman sur un mode exalté et passionné. Ses sautes d’humeur provoquent parfois l’épuisement, tandis que l’implication physique d’Arieh Worthalter forge l’admiration. A ses côtés, le reste de la distribution est loin de faire pâle figure, et s’élève à son niveau, que ce soit pour les avocats autant que les témoins.

Cédric Kahn sait créer une intensité indéniable et faire preuve d’une grande maitrise formelle, mais, plus rare, il fait naître l’émotion et suscite une réflexion passionnante sur la difficulté d’accepter d’être moins glorieux que ses pères. Foisonnant et impressionnant, Le Procès Goldman se hisse du haut des très grands films de procès, et se révèle être un témoignage historique juste, en même temps qu’un écho pertinent aux questionnements identitaires de notre époque.

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