Sorti pour le centenaire de Fanon, mais seulement quelques mois après le biopic français réalisé par Jean-Claude Barny, ce nouveau portrait venu d’Algérie du psychiatre et penseur décolonial peine à faire oublier le précédent, puisqu’il traite de la même période, avec la même vision… et probablement les mêmes défauts. Sans tomber dans un jeu des sept différences, qu’apporte ce deuxième film consacré à Frantz Fanon ?
Figure importante de la pensée décoloniale, connue des universitaires mais jusqu’alors inconnue du grand public, Frantz Fanon synthétise nombre des combats de son temps. Psychiatre iconoclaste révolté par la criminalisation des patients, cet ancien combattant de la Libération prône l’ouverture des instituts et lutte contre les préjugés coloniaux lorsqu’il exerce en Algérie, alors française. Il prolonge son combat pour la décolonisation des esprits à travers des livres, dont Les Damnés de la Terre, et le plus court, et plus accessible Peaux noirs, masques blancs. Il prendra la nationalité algérienne après avoir lutté pour la libération du pays. Emporté par une leucémie précoce à seulement trente-six ans, Fanon, adoubé par ses pairs de son temps, souffrira d’un déficit de notoriété auprès du grand public en France, mais moins en Algérie. Pour le centenaire de sa naissance, le cinéma français et algérien veillent à le faire connaître au plus grand nombre, à travers deux biopics.
Malgré toutes ses bonnes intentions, le biopic réalisé par Jean-Claude Barny ne m’avait que partiellement convaincue (découvrez pourquoi ici). J’attendais donc beaucoup du projet d’Abdenour Zahzah, intitulé Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville au temps où le docteur Frantz Fanon était chef de la cinquième division entre l’an 1953 et 1956, que nous abrègerons dans cet article Chroniques du Dr Fanon.
Abdenour Zahzah choisit, comme Jean-Claude Barny mais avec plus de radicalité, de réduire la vie de Fanon à l’écran à son engagement en tant que médecin. Nous ne verrons ni Fanon compagnon de la Libération, ni Fanon écrivain, ni -et c’est plus étonnant – Fanon sympathisant du FLN. Les Chroniques du Dr Fanon s’intéresse uniquement à sa pratique de la psychiatrie, période charnière de sa vie où Fanon basculera de la lutte théorique au combat en pratique.
En se prénommant « Chroniques », le film d’Abdenour Zahzah croque plus qu’il ne creuse, il a donc l’avantage de se débarrasser des lourdeurs dans lesquelles étaient tombées le film de Barny. Ce biopic s’adresse donc davantage aux connaisseurs de la vie et l’œuvre de Fanon, qu’aux novices. Par exemple, la dernière partie du film survole la résistance de Fanon aux côtés des maquisards algériens, à travers notamment la sous-intrigue du flic infiltré, épisode si brièvement abordé qu’il en devient confus.
Le film développe avec plus d’aisance son sujet principal : Fanon psychiatre. Les plans longs, souvent fixes, capturent des visages torturés, dévoilent des habitants toujours entourés de barreaux, et laissent sa place à la lenteur. Lenteur des protocoles expérimentés par Fanon, lenteur de la direction et l’administration française pas avares en préjugés racistes. En privilégiant ce rythme, et cette forme austère, sans musique, Abdenour Zahzah se lance dans un pari risqué. Confronté à un rythme fastidieux, à une mise en scène monotone, et à un récit peu trépidant, le spectateur porte son attention sur les interprètes, malheureusement ici engoncés dans des dialogues clamés sans crédibilité. On peut supposer qu’Abdenour Zahzah dirige plus habilement en langue arabe qu’en français, car les interprètes algériens s’avèrent largement plus convaincants que les Français, bien en peine. A noter en contre-exemple la présence au casting du flamboyant Omar Boularkiba, déjà aperçu (et apprécié !) dans La Mer au loin de Saïd Hamich. L’acteur principal, Alexandre Desane, s’en sort en interprétant Fanon avec une discrète ironique, grâce à un sourire discrètement arrogant.
Ainsi, Abdenour Zahzah préfère au biopic scolaire un film plus subtil, mais par là-même sans éclat. Ne vous laissez pas berner par ce calme apparent, la violence coloniale s’y dévoile avec force, dès lors que Fanon cherche à ouvrir l’espace de l’hôpital comme les esprits. On aurait aimé que les interprètes du film ainsi que le récit global s’emparent de cette injustice avec plus de conviction et de colère.
- Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville au temps où le docteur Frantz Fanon était chef de la cinquième division entre l’an 1953 et 1956 d’Abdenour Zahzah, en salles le 23 juillet.
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