Défenseur du communisme dans ses jeunes années, Mario Vargas Llosa s’en détourne radicalement pour devenir le chantre du néo-libéralisme, jusqu’à se présenter lui-même aux élections présidentielles de son pays natal, le Pérou, puis défendre à la fin de sa vie le gouvernant argentin Javier Milei.

Une fois que ce charmant tableau politique est dressé, rappelons qu’il est aussi prix Nobel de Littérature, célébré pour ses descriptions fines des mouvements de révoltes, pour ses portraits réalistes de résistants. Réalistes n’est pas un qualificatif anodin en Amérique latine, où règnent le goût pour la magie, le fantastique, la fresque fantasque, débordante.

Devant tant de contradictions, seule la lecture permet de trancher. Il y a un mois j’avais trouvé La Fête au bouc dans une librairie d’occasion. Trois jours après, Mario Vargas Llosa décédait (j’avais déjà causé la mort involontaire de Kundera et Paul Auster dans les mêmes circonstances étranges). Je ne connaissais pas plus sur l’écrivain que les deux paragraphes ci-dessous, il ne restait donc plus qu’à entrer dans son œuvre.

Et quelle œuvre ! Complexe, d’abord, par la profusion de ses trois intrigues : les derniers jours du dictateur dominicain Trujillo, l’organisation de son assassinat par la résistance, et le retour au pays des décennies plus tard d’Urania, fille d’un des soutiens du despote. Puis, dès lors que le fascinant réseau de personnages se met en place, passionnant. Mario Vargas Llosa ausculte autant les tensions politiques au sein d’un groupe résistant que les éclats de banalité dans les derniers jours cruciaux. Lorsqu’il s’attèle à la description de Trujillo, l’écrivain ne tempère pas sa plume pour révéler la violence du dictateur. Dans le troisième arc narratif, celui d’Urania, la violence culmine, jusqu’à un dernier chapitre, si abject et douloureux qu’on repose le livre, abasourdi.

La Fête au bouc, paru en 2010, est l’un des derniers représentants du sous-genre foisonnant en Amérique latine du « roman du dictateur ». Il me semble être à la fois un peu difficile d’accès pour entrer dans l’œuvre de Mario Vargas Llosa, et, dans le même temps, idéal. Histoire de paradoxe, de nouveau.

Après un tel choc, je me suis ruée en médiathèque trouver d’autres livres de l’auteur péruvien, me voilà repartie avec Tours et détours de la vilaine fille. Le pari annoncé par ce titre truculent est tenu : une femme, changeant d’identité à chaque rupture, mène en bateau notre narrateur béat et bonne poire, un gentil traducteur se rêvant écrivain. Un roman bien plus léger que La Fête au bouc, qui n’en reste pas moins délicieusement cruel. Une lecture agréable, plus facile d’accès, mais moins forte et, stylistiquement, moins virtuose que La Fête au bouc, qui n’hésitait pas à mêler dans un même chapitre plusieurs voix, plusieurs temporalités, changeant d’histoire en cours de paragraphe pour mieux nous perdre, ou, au contraire, mieux nous mobiliser.

Ces quelques pensées sur l’œuvre de Mario Vargas Llosa, dont je ne suis nullement spécialiste, mais que je découvre en ce moment et qu’il me tarde de poursuivre, illustrent à quel point la vie peut être en contradiction avec l’œuvre. Et, lorsque les engagements politiques ne nous satisfont pas, seule la Littérature convainc.

Manon Grandières

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