Le Britannique Mike Leigh (Naked, Secrets et mensonges, Palme d’or en 1996) revient avec Deux Sœurs, une comédie grinçante sur une femme offensée, donc, dans son cas, enragée, dans chacune de ses interactions sociales. Au-delà d’un double portrait de femmes réjouissant et brillamment écrit, le film dissèque discrètement la famille et le monde du travail avec mélancolie.

Deux sœurs joue avec nos attentes dès l’ouverture. Pansy nettoie son salon, prend soin de son canapé, on croit que le film s’oriente vers une critique de la charge mentale… mais dès qu’elle ouvre la bouche, notre empathie pour elle s’envole. Cette stratégie surprenante pour découvrir les personnages se poursuit pour notre rencontre avec Chantelle. Au salon de coiffure, une femme confie avec amusement des détails croustillants sur son homme. Avec légèreté, la caméra monte et descend sur le visage de la cliente puis de la coiffeuse. Lors de cette belle scène de conversation, nous ne savons pas encore qui sera la sœur en question du titre. Il s’agira de la coiffeuse, Chantelle, confidente rassurante.

Pansy (Marianne Jean-Baptiste) exècre tout. Son mari taiseux, en premier lieu, son fils paresseux et addict aux écrans, les vendeurs dans les magasins, les caissières, les animaux, les leggings… Et quand Pansy n’aime pas quelque chose, elle ne le dit pas, elle le hurle. Son entourage excédé l’ignore, et écoute sans un mot ses monologues furieux lors des repas de famille. Seule sa sœur, la douce Chantelle (Michelle Austin), coiffeuse, cherche à la comprendre.

La scène de discussion au salon de coiffure nous suggère une attitude de spectateurs. Nous assistons à un récit de vie, avec toutes les zones d’ombre et les non-résolutions propres à la vie. Nous nous surprenons à nous passionner pour ces fragments de réel. Le film cerne avec acuité les paradoxes de la famille, cette entité biscornue, imparfaite, mais où nous n’avons plus à faire semblant.

La famille de Chantelle devient un miroir à celle de Pansy. Chantelle et ses filles rayonnent, dansent et rient. Les deux filles oublient l’absurdité de leurs bullshit jobs en un verre au barre, une soirée partagée. Chez Pansy, la pénibilité du travail se poursuit à la maison, dont Pansy est autant la geôlière que la prisonnière.

Pourtant, le film bascule fréquemment dans la comédie, grâce à la fureur merveilleusement absurde et hyperbolique de Pansy. Marianne Jean-Baptiste compose une femme bouillonnante de rage, dont la colère se déploie en un froncement de sourcils, en un regard ferme ; son regard déformé devient la toile de son jeu nerveux et précis, avec en supplément, un doigt accusateur lancé vers l’autre. Sans tomber dans l’outrance théâtrale, elle flirte avec le grotesque, voire le cartoonesque, on verrait presque la fumée sortir de son nez. Sa langue précise vocifère insultes et comparaisons douteuses, elle dit toute sa colère dans une infinie liste à la Prévert des outrages qu’elle dit subir.

Aussi buté que son personnage, Mike Leigh refuse une conclusion bienheureuse invraisemblable avec ce personnage si fermé sur elle-même et enfermée dans sa propre colère. Subtilement, le film ne peut offrir que des interstices, des possibilités de douceur, mais pas de vraies réponses. Deux Soeurs semble le versant pessimiste de Secrets et mensonges, qui, comme ce dernier film, faisait la belle part aux actrices, aux discussions nerveuses et à l’incompréhension entre les êtres. Mike Leigh radicalise son propos ici. Aurait-il perdu foi en la famille ?

Copyright image de l’article : Diaphana

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