Le dernier film de Cédric Jimenez, déjà réalisateur de Bac Nord, La French et HHhH, retrace la traque des terroristes du Bataclan sans tomber dans le moindre écueil de ce sujet complexe. Or Novembre ne livre pas seulement un travail de mémoire d’une grande exemplarité, il apparaît aussi comme un film policier magistral dont la tension et la vivacité ne prennent vie qu’en salle, collectivement.

A l’automne 2022, Novembre, Revoir Paris et Vous n’aurez pas ma haine abordent frontalement les attentats du 13 novembre 2015 qui ont coûté la vie à 131 personnes et ont fait plus de 413 blessés, et dont le procès s’est achevé l’été dernier. Sept ans après ce drame, comment représenter l’impensable ? Si les deux derniers films se placent du côté des survivants et de la famille des victimes, celui de Cédric Jimenez choisit de mettre en lumière le corps de la police, si indispensable alors (ce que, soit dit en passant, de nombreux discours anti-flics simplistes semblent avoir oublier). Novembre opère une double prise de distance par rapport aux événements de 2015, à la fois en représentant peu les victimes et en se plaçant du côté des forces de l’ordre. Si le film apparaît comme un thriller très réussi, il n’oublie pas pour autant de saisir le trouble de ces quelques jours chaotiques et sidérants, faisant resurgir les souvenirs ineffables des spectateurs qui, au vue du peu de distance temporelle, ont tous vécu 2015.

Après une introduction efficace, sorte de plongée immédiate dans un exemple de lutte antiterroriste qui annonce le ton et la prise de position du film, Novembre dévoile une séquence très juste pour saisir la légèreté de la capitale. Des Parisiens regardent France-Allemagne, des rumeurs semblent agiter certains spectateurs, tandis qu’un membre du bureau anti-terroriste, joué parfaitement par Jérémie Renier, reçoit un coup de fil, avant que des centaines d’autres ne saturent l’espace sonore ; les attentats ont eu lieu. Le film de Jimenez évite là le premier et principal risque de ce sujet, la représentation des attentats. Non seulement par décence, mais finalement aussi par réalisme, jamais Novembre ne montrera le moindre corps blessé, le moindre terroriste ou victime tués. Les propres souvenirs du spectateur comblent l’absence d’images. Les non-dits du récit ancrent davantage dans l’urgence de la traque. Il est alors étrange de constater que notre propre mémoire participe à la construction du récit. Les images d’archive feraient presque de Novembre une docu-fiction et sont bienvenues pour mieux rappeler la véracité du film.

De surcroît, Cédric Jimenez et le scénariste Olivier Demangel évitent judicieusement un deuxième écueil, celui de dialogues moralisateurs ou politiques simplistes. Préférant faire confiance au spectateur, le film suggère l’horreur des événements sans l’expliciter par quelques discours naïfs (nul enfant de flic ne mentionnera « de méchants »). Cherchant des coupables sans mobile, le film ne s’embarque pas non plus dans des explications, vouées de fait à l’échec, sur les raisons des actes des terroristes. Quelques plans dévoilent la sidération globale, notamment les images d’archive des discours de François Hollande, mais les membres de la brigade anti-terroriste agissent avec sang-froid, même si une sous-intrigue avec la policière jouée par Anaïs Demoustier montre la difficulté d’agir avec objectivité face à des actes si terribles.

Plus important encore, Novembre trouve un ton juste, montrant l’épuisement des forces de l’ordre dans cette tâche qui les dépasse, mais prévient toute tentative mélodramatique. Quelques séquences auraient pu être propices à des effusions de larmes, comme la minute de silence et les témoignages des rescapés du Bataclan, mais dans l’une comme dans l’autre, le film préfère une distance sobre. Ce parti pris glace le spectateur plutôt qu’il ne l’émeut et remémore plus justement l’état de sidération de ces journées de 2015. A l’inverse de Bac Nord, Cédric Jimenez et Olivier Demangel opèrent aussi une prise de distance vis-à-vis des policiers, ne les mettant en scène qu’au travail, qu’ils ne quittent d’ailleurs jamais, dormant et se lavant là-bas. La traque des terroristes est montrée comme une parenthèse de leurs vies personnelles, comme le suggère l’appel écourté du fils du chef de la brigade joué par Jean Dujardin. Certains spectateurs regretteront peut-être cette proximité moindre avec les policiers, ils ne sont pas déshumanisés pour autant, comme le révèlent leurs visages creusés par la fatigue et leurs réponses parfois colériques. Novembre crée plutôt un effet de troupe ; cette multiplication des points de vue est doublement gagnante. En effet, du point de vue de l’intrigue, les différents équipes permettent une avancée rapide de l’action et présentent la résolution de la traque de manière plus réaliste que si elle avait été l’affaire d’un seul homme. Les enquêtes croisées intensifient aussi la tension inhérente au film, alternant entre les découvertes hasardeuses, les fausses pistes, le manque de communication frustrante avec les autres institutions et le travail chronophage de la traque du moindre fait divers.

C’est d’ailleurs cette dimension chaotique du film que Cédric Jimenez choisit pour mieux caractériser la recherche des terroristes. Délaissant une enquête didactique à la Sherlock Holmes, le film saisit la folie des ces jours de novembre, où la menace constante d’une nouvelle attaque peut pousser à la précipitation. Pour retranscrire cette onde de choc, Novembre profite du travail de montage exceptionnel mené par Laure Gardette. Le film privilégie les plans très courts qui captent en quelques secondes toute l’énergie à venir. Les séquences d’intervention du RAID et de la BRI sont extrêmement claires et saisissantes, en particulier la dernière dans l’appartement à Saint-Denis. La séquence commence par un travelling arrière sur la route menant à la planque des terroristes, travelling à l’intérieur d’un fourgon abritant des dizaines de militaires surarmés. L’arrivée, avec discrétion et sans musique extra-diégétique (extérieure à la fiction), retient le souffle des spectateurs avant que le déferlement de tirs ne lui succède. Un moment d’hésitation interrompt le chaos, puis celui-ci redémarre. Avec justesse, un montage alterné montre aussi la fenêtre de l’appartement de l’extérieur, depuis la rue, suggérant avec plus de force la violence de l’opération. Cette séquence clôt quasiment le film magistralement, alors que celui-ci présentait déjà des moments de tension de haute volée.

Rarement une salle de cinéma n’aura été aussi silencieuse. Les conversations durant les bandes-annonces laissent d’abord place à quelques traditionnels chuchotements au début du film, puis, dès lors que les attentats ont eu lieu, plus personne ne songe à émettre un bruit. Les quelques séquences où la tension est moindre donnent lieu à de timides toussements de spectateurs qui s’étaient retenus. L’arrivée du générique, dans le plus grand silence, rappelle que nous avons assister à une histoire dont nous avons été les contemporains. C’est là la plus grande force de Novembre, reproduire ce même silence qui avait été celui des Français devant leur télévision après un certain France-Allemagne.

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