Alors qu’affleurent sur nos téléphones des images, presque en direct, de massacres de population et de vidéos d’intense destruction, le cinéma palestinien semble sommé de choisir la voie documentaire, pour témoigner de l’horreur, et résister, tant bien que mal. Les frères Nasser se débarrassent de toute injonction en créant un drôle de film, entre les comédies noires des frères Coen et les drames réalistes de Mohammed Rasoulof (Un homme intègre notamment). Pourtant, même dans la fiction la plus délirante, le réel s’invite. En résulte un film hybride, divertissement sincère teinté de gravité, passeur malgré lui d’une actualité tragique.

Tarzan et Arab Nasser, cinéastes palestiniens, jugèrent sûrement indécent de mettre en scène une pure fiction. Aussi leur troisième film, Once upon a time in Gaza, prend d’emblée en charge la question des régimes d’images dans un montage d’abord trouble. Des immeubles tombent et des bombes pleuvent, le film commence alors comme un documentaire. Puis arrive une bande-annonce d’un faux film d’action sur des rebelles palestiniens. En dix minutes, les frères Nasser rappellent l’impasse des représentations de la Palestine, soit victime, soit héroïque, façon David contre Goliath.

Après ce prologue fort dialectique, démarre réellement la fable. En 2007 (année où la Hamas prend le contrôle de Gaza), Yahya, un honnête vendeur de falafels, se lance dans le cinéma à la mort de son patron, dealer assassiné par un flic corrompu. Alors qu’on lui promet une carrière glorieuse en lui offrant le rôle d’un leader résistant et terroriste, le brave Yahya recroise la route du policier. Le tournage s’en trouve menacé.

Dans cette tragi-comédie, l’extraordinaire divertit mais sert aussi de prétexte pour filmer l’ordinaire. On entre dans des restaurants, on parcourt des rues ensoleillées, on regarde la télévision, en somme, on découvre le quotidien d’un peuple avant leur extermination aujourd’hui en cours. En choisissant de filmer un tournage, les frères Nasser font preuve d’un humour grinçant : voici le fameux Pallywood qu’honnit la propagande israélienne.

Bien que lorgnant vers les westerns de Sergio Leone, et les drames de Coppola (la sublime musique du film signée Amine Bouhafa emprunte clairement à la partition de Nino Rota pour Le Parrain), Once upon a time in Gaza ne pourra jamais être totalement une fiction. Lors du tournage, des figurants gazaouis interprétant sans enthousiasme des militaires israéliens refusent de jeter à terre le drapeau palestinien. Plus trivialement, Yahya se fait refuser ses demandes de papiers par l’administration israélienne alors qu’il souhaite rendre visite à sa famille à une heure de voiture de Gaza. Bien qu’ils se défendent de parler politique, les frères Nasser, en filmant le quotidien, montrent une situation néo-coloniale évidente, qui s’invite dans les moindres interstices de la fiction.

Dans son rêve de fiction même, le gentiment loufoque Once upon a time in Gaza témoigne d’un réel incontournable que ne sauraient faire oublier les sublimes images du directeur de la photo Christophe Graillot, ni le solide trio d’interprètes (Nader Abd Alhay, Majd Eid et Ramzi Maqdisi). Le film se clôt d’ailleurs sur un révélateur « It will end », signe de cette confusion assumée entre fiction et Histoire. Le titre, « Il était une fois à Gaza », révèle donc autant un désir de fiction qu’une nostalgie d’un passé désormais fort lointain. Alors qu’en 2025 Gaza se transforme en ruines, détruite sciemment par Israël, une sympathique tragi-comédie se déroulant en 2007 s’élève presque au rang de film historique.

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