Comédie réussie sur la création, le dernier film de Michel Gondry séduit par son rythme original, son foisonnement d’idées et sa représentation touchante, bien que fantasque, de la folie. Sortie : 13 septembre 2023
Marc Becker (Pierre Niney), possible double de Michel Gondry lui-même, voit la première ébauche de son film sévèrement critiqué par ses producteurs. Préférant suivre son intuition, il s’isole avec son équipe dans la maison de sa vieille tante Denise, en pleine campagne. Au grand dam de ses proches, il multiplie les nouveaux projets et fuit ses responsabilités de réalisateur. Se sentant incompris mais génial, il consigne ses préceptes de création dans un cahier, Le Livre des Solutions.
Prévenons de suite, ce film, représentatif de l’esthétique et de l’humour de Gondry, est l’exact opposé de son chef d’œuvre Eternal Sunshine of The Spotless Mind. Les deux films ont une poésie bien différente, du côté de la lenteur et du fantastique pour son film de 2004, l’autre du côté de l’excès et du réel. Certes, le réel selon Michel Gondry n’est pas le réel de tous les mortels, mais plutôt une sorte de zone poreuse, où les fantasmes prennent forme, où les rêves déçus peuvent tout de même s’incarner, malgré leur imperfection. A ce titre, Le Livre des Solutions représente à merveille cette réalité onirique.
La principale réussite de ce film réside dans son accord parfait entre le propos du film et sa forme. Là où Marc invente sans cesse, Gondry propose de nouvelles formes, en semblant suivre les directives de son personnage. Par exemple, il monte le film en intercalant le court-métrage improbable que Marc veut intégrer à son propre projet. Ainsi, Le Livre des Solutions surprend sans cesse, son parcours ludique correspond parfaitement aux idées foisonnantes qui assaillent Marc. De même, dans la dernière partie du film, le doute subsiste quant à la véracité des faits racontés ; les images montrent les délires de Marc, mais le film ne les contredit pas entièrement, à l’instar de la séquence finale, potentiellement imaginée. Ce dédale a alors pour pendant le risque de perdre le spectateur habitué aux récits linéaires, mais, dès lors que l’on accepte les règles de ce jeu, le film est un bijou d’invention et de drôlerie.
Drôle, le film l’est aussi grâce à sa galerie de personnages, menée par Marc. Notre anti-héros sympathique s’avère être le personnage le plus travaillé, à la fois touchant par sa peur de l’échec et son souci de Denise, tyrannique par son ambition et son instabilité, et finalement assez ridicule par sa naïveté et sa mégalomanie (est-ce une manière méta de mentionner avec ironie celle supposée de Pierre Niney ? J’ouvre le débat ici). L’une des grandes forces du scénario est de peu contredire ce personnage, le confortant toujours plus dans ses délires et donnant lieu à des scènes assez comiques (sans divulgâcher le personnage en question, une séquence dans un studio à Londres est vraiment remarquable dans ses dialogues, in et off). Les autres personnages, davantage ancrés dans le réel, constituent des contre-points efficaces en termes d’humour, bien qu’ils soient plus rapidement esquissés.
Cependant, sous couvert d’humour et d’inventivité, le film évoque en creux la bipolarité et les troubles psychiques, notamment à travers les difficultés que rencontre Marc pour réaliser ses désirs auprès des autres. Ces relations sociales complexes, teintées de tyrannie malgré la tendresse qu’éprouve Marc pour les siens, sont souvent l’occasion de séquences comiques, à l’image de celles mettant en scène Carlos, comic relief efficace, mais suggèrent aussi un regard plus sombre, et possiblement plus juste, sur la folie. Lors d’une dispute avec sa collaboratrice, Marc énumère les taches improbables que celle-ci aurait dû faire ; le débit de sa parole et l’absurdité de ses demandes témoignent alors d’un point de vue plus sombre sur la bipolarité et la possible violence des personnes qui en souffrent. Le Livre des Solutions est alors bien loin de l’apparente légèreté que ne le supposaient son affiche.
En bref
Jubilatoire, Le Livre des Solutions enchantera ceux qui se laisseront entraîner dans son tourbillon d’idées, même ébauchées. Portée par ses interprètes extrêmement justes, cette comédie, teintée de mélancolie, possède un charme indéniable. Chaque artiste ambitieux mais procrastinateur saura se reconnaître dans cet autoportrait angoissé et drôle de Michel Gondry. Les dialogues vivaces et efficaces tranchent avec le rythme parfois lent et circulaire, et témoignent du vrai talent comique du réalisateur. Une réussite à tout point de vue.