Sommes-nous tous jugés d’avance ? Etrange conclusion à laquelle on arrive au bout de ce film froid, qui enferme d’emblée ses personnages comme sa mise en scène. Si Je le jure ne renouvelle pas l’approche du genre du film de procès, son dispositif de tournage novateur marque un jalon important.
Lorsque le taiseux Fabio entre au tribunal de Metz aux côtés des autres jurés tirés au sort, il découvre deux camps figés : les défenseurs de la répression, et les pro-réinsertion. Les rares mots de Fabio, que Samuel Theis, dans une optique réaliste, fait jouer par un acteur non-professionnel (Julien Ernwein), tranchent avec les discours assurés des autres jurés, aux visages familiers (Louise Bourgoin, Micha Lescot, Saadia Bentaïeb).
Le jury doit se prononcer sur la durée de la peine de Jean-Baptiste Fadil, un pyromane accusé d’un meurtre. Samuel Theis évite soigneusement toute possibilité de spectacle ; non seulement la culpabilité du détenu est prouvée, évacuant la reconstitution ludique d’une enquête, mais chaque juré campe dans des positions fermes et étonnamment convenues. Nulle joute verbale n’ajoutera ce supplément de plaisir coupable des films de procès. L’évolution de Fabio, symptomatique de ce scénario frileux, est l’histoire d’une timide affirmation, consistant pour lui à accepter le réel, à savoir sa relation amoureuse.
En flirtant avec le documentaire, Samuel Theis retranscrit la réalité, mais celle-ci s’avère tristement banale. Le réalisateur n’ose aucun discours sur la société, ni même sur l’institution de la Justice. Les dés sont jetés dès l’ouverture. Le prévenu, nommé simplement par son nom de famille par ceux qui veulent le revoir en prison, refuse toute explication de ses actes, et toute excuse.
En résulte un film froid, sans tension, où aucun personnage ne peut sortir de sa posture figée. Les débats tournent à la discussion de comptoir, et les prises de position nous confortent dans des combats fort consensuels (mauvais traitement des prisonniers, insalubrité des logements de banlieues…).
Je le jure étonne par son absence de position claire, et par là même, son manque de tension. Il peinera donc à rivaliser avec les récents Anatomie d’une chute (dans lequel Samuel Theis joue le mari mort), Le Procès Goldman, Mon Crime ou bien Saint-Omer, tous sortis ces trois dernières années.
Le film restera dans les annales pour le dispositif de tournage exceptionnel mis en place à la suite d’accusations de viol envers le réalisateur. Samuel Theis, mis en cause par un machiniste à l’été 2023, a été écarté du tournage, et a dirigé ses acteurs par visio. L’ensemble de l’équipe technique et des comédiens a été consulté pour imaginer ce dispositif permettant de conserver la temporalité du tournage et d’aménager le tournage en lieu « sûr ». La création du film semble ironiquement une mise en abyme du sujet de Je le jure lui-même, en débattant sur la nécessite de mettre à l’écart autrui.
Image de l’article : Copyright Avenue B Productions / Ad Vitam