Après Vivre vite de Brigitte Giraud qui m’avait laissé sur ma faim, voici mon bref retour de lecture du prix Goncourt 2004 : Le Soleil des Scorta de Laurent Gaudé, roman de circonstance en ces temps caniculaires.
Sous le soleil battant des Pouilles, région de la botte italienne, trois générations de Scorta tentent de conjurer la pauvreté. Le premier, Luciano, sera malfrat. De même pour son fils, Rocco. Ses trois petits-enfants choisiront le travail honnête, suant sans relâche. De New York à leur ville natale, leur dure labeur leur fera enfin connaître la paix.
Laurent Gaudé entreprend une saga familiale de 1875 à nos jours, sans que curieusement, la Grande Histoire ne bouleverse tant ses personnages. Plus curieux encore, cette saga s’étend sur moins de trois cents pages. Bien loin des pavés à la Ken Follett, Laurent Gaudé préfère l’immersion discrète dans une famille, qu’il portraiture par épisodes, par coups du sort. Il nous raconte, dans une plume accessible et sensorielle, la chaleur du soleil italien, la sueur des travailleurs, la rare fraîcheur de la brise marine. Le Soleil des Scorta s’avère un véritable tour de force ; rarement, en si peu de pages, une poignée de personnages n’avaient pris place en nos esprits avec une telle présence. Gaudé lie toutes les époques avec fluidité grâce à la voix récurrente de Carmelia, une des enfants de Rocco désormais âgée, se confiant à sa descendante.
Cependant, comment résister au cliché pour décrire l’Italie ? Le décor des Pouilles apparaît un tant soit peu fantasmé, entre l’âne qui courbe l’échine, le soleil de chaque instant, et ses habitants taiseux. Gaudé s’extirpe parfois de ces stéréotypes en choisissant la voie poétique : le destin des Scorta semble une malédiction familiale, et leurs aventures, un conte à la Salman Rushdie.
Deuxième léger écueil de cette lecture qui n’en reste pas moins agréable : la tendance à la sublimation de la misère. Certes, Laurent Gaudé élève ses personnages en leur offrant un destin tragique mais épique, à la façon des grands chants grecques. Dans ce noble projet, il succombe parfois à la tentation d’embellir la pauvreté. Aucun personnage du roman n’a le droit d’être faible, quand on veut on peut, semblent scander les Scorta. Aussi, un des vaillants Scorta rencontre à la fin du livre des migrants tout sourire dont l’auteur prétend qu’ils sont heureux d’aller se tuer à la tâche…
Ces deux écueils du roman ne sauront faire oublier ses immenses qualités, avec cette écriture sensorielle et la présence forte de ses personnages. Le Soleil des Scorta semble avoir le défaut de ses qualités. Forme très brève pour être accessible, plume sensible et simple, ce roman tourne parfois le dos au réalisme pour nous offrir un vrai plaisir de lecture.