Un jour je décidai de lire les 122 lauréats du prix Goncourt. Par simple curiosité. Pour découvrir quel livre a suscité tant de débats chaque année, pour vérifier si des romans lauréats parviennent encore aujourd’hui à nous émouvoir, et pour rencontrer de nouveaux auteurs, disparus ou en activité. Des années passèrent, d’autres lectures s’imposèrent, et arrivée en 2025, je n’en avais lu qu’une dizaine. Alors, en juin 2025, je me suis remise à mon défi lecture. D’ici novembre prochain et l’attribution du futur prix, j’espère avoir lus les vingt-cinq derniers lauréats. Me voilà comme d’habitude partie à la bibliothèque avec une première pile de livres. J’inaugure ce défi lecture avec le Prix Goncourt 2022 : Vivre vite de Brigitte Giraud.

Alors que tous annonçaient la victoire de Giuliano da Empoli et son Mage du Kremlin, portrait réaliste de Vladimir Poutine, c’est Brigitte Giraud et son plus modeste projet, Vivre vite, qui remporte le prix Goncourt. Au sein même du jury, des tensions persistent ; la gagnante est désignée au quatorzième tour, lorsque la voix du président compte double. Certains membres du jury s’en offusquent même dans la presse. Alors qu’un prix Goncourt garantit bien souvent à son auteur de dépasser les 400 000 ventes, le récit de Brigitte Giraud fait moitié moins en librairie, croisant le chemin de moins de 200 000 curieux. Un contexte de sortie malheureux pour ce livre sur lequel nous nous penchons dès présent.

Brigitte Giraud revient, avec pudeur et sincérité, sur l’accident de moto survenu vingt ans plus tôt, causant la mort de son mari Claude, alors que le couple, parent d’un petit garçon, s’apprêtait à déménager. Ce n’est pas directement le deuil ou la perte qui intéressent l’écrivaine, mais les circonstances de cette disparition tragique, circonstances qu’elle liste, pour tenter de les conjurer deux décennies plus tard. Si Claude n’avait pas pris sa moto, serait-il encore en vie ? Et si le créateur de Yamaha avait restreint les conditions de vente de ce modèle comme il l’a fait dans les autres pays ? Et si Stephen King avait péri deux semaines plus tôt ?

Si le projet a de quoi séduire pour sa vanité assumée et désarmante (rien ne ramènera Claude), Brigitte Giraud se cantonne à une liste des possibilités trop restreinte. Restreinte par le lieu même, qui n’excède pas le périmètre de la nouvelle maison, devenu tombeau symbolique du disparu. Restreinte par l’imagination aussi, peut-être. Un Georges Perec aurait oser une liste loufoque, d’un humour sombre mais désespéré, nous amenant à remettre en question l’entièreté de la création dans une formidable suite d’effets papillons. Brigitte Giraud s’en tient au réalisme, au quotidien. Choix plus sage, mais pas nécessairement plus émouvant.

Car dans cette course tragique, l’absent Claude peine à exister dans le texte. Nous lisons une suite de possibilités, de déviations dans la routine de la mort, mais, peut-être par pudeur ou douleur, Brigitte Giraud tient à distance Claude, et leur histoire. Inaccessible et mystérieux, Claude qui n’est qu’esquisse pour nous. Si la sincérité du projet transperce le cœur, Vivre vite peine à nous inclure, nous lecteur. Timide chant d’amour chuchoté au loin, dont on distingue mal les paroles.

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